Un Palais à Rome
Commande du Musée du Louvre dans le cadre d’une exposition sur les Carrache en 2026, le programme « Un Palais à Rome » a été imaginé comme un pont entre la musique et les arts. En effet, à la fin du XVIe siècle, la vie musicale est en ébullition. Les cercles d’intellectuels et artistes florentins actifs depuis des décennies donnent à la création une ouverture sans précédent, et la musique s’en trouve profondément marquée.
S’inspirant de l’Antiquité et de théories réinterprétées à l’aune de l’Humanisme, les compositeurs inventent une nouvelle manière de transmettre les émotions par la voix et les instruments. L’idée d’une déclamation, expressive, libre, émouvante et chantée prend forme avec les premiers récitatifs. L’accompagnement offre une liberté nouvelle, loin de la régularité nécessaire à la polyphonie sacrée. Les affects du texte trouvent un relief nouveau et emportent les âmes des spectateurs au plus près des émotions portées par les poètes et les musiciens. Cette révolution s’étend à Venise, à Rome et dans toute l’Italie pendant le Seicento.
Rome se laisse vite gagner par cette nouveauté. Si la musique sacrée du cœur de la Chrétienté reste conservatrice, notamment dans ses temples les plus vénérables que sont les Chapelles Sixtine et Giulia, le style polyphonique ancien perdure (jusqu’aujourd’hui), et cette nouvelle manière se répand dans les grands lieux de la ville, qu’il s’agisse des palais des grandes familles ou des cardinaux.
Celui de la famille Farnese, édifié par le futur pape Paul III à la fin du XVe siècle, mobilise les plus grands architectes de son temps (Sangallo le jeune, Michel-Ange, Della Porta). Tous les arts sont convoqués : peintres, tapissiers, orfèvres, maîtres verriers, sculpteurs… Tous contribueront à faire de ce palais l’un des joyaux de Rome. Les richesses qu’il abrite constitueront au fils des siècles la somptueuse et légendaire collection Farnese (le Palais abritait l’une des plus formidables collections d’antiques alors visibles à Rome).
Le cardinal Eduardo Farnese confie au peintre bolognais Annibale Carracci la décoration du Palais en 1595. La Galerie du Palais, donnant sur la via Giulia, vers le Tibre, demande une attention particulière : c’est un lieu de réception, de détente, propice à l’organisation de concerts, chaque détail y est signifiant. La virtuosité de la composition est prodigieuse, elle convoque la mythologie autour de amours des Dieux dont les Métamorphoses d’Ovide sont la source d’inspiration inépuisable.
Tous ces personnages de l’Olympe apparus sur les voûtes au début du Seicento ont constitué une assemblée sublime offerte aux regards des invités de la famille Farnese, probablement au son de la musique de leur temps : il est probable que cette grande galerie fut dédiée à la musique (des inventaires mentionnent la présence d’instruments, et les Caracci ont travaillé à la décoration de clavecins, aujourd’hui conservés à Londres, particulièrement liés à leurs travaux pour Farnèse).
Ce programme propose de traverser cette galerie non plus en contemplant ses voûtes, mais en traversant les sons que ces dieux peints par les Carracci ont entendu dans les premières décennies de leur existence. Depuis les madrigaux nouveaux de Marenzio à la fin du XVIIe siècle, contemporains de leur apparition, jusqu’aux grands oratorios commandités par les cardinaux romains à Luigi Rossi ou Stefano Landi, ces cinquante années de musique à Rome montrent que la virtuosité du dessin croise celle de la composition, alliant la profondeur et la sensualité dans un élan étourdissant qui sera le symbole de la ville éternelle pour longtemps.