Du Soleil aux Lumières
Les reflets de Venise sur Paris
Dès les premières années de son règne, le Roi Soleil met les arts au cœur de sa politique : non seulement pour l’agrément qu’ils représentent dans l’établissement d’une vie de cour où sont tenus en semi-captivité les artistocrates, potentiels frondeurs, mais aussi pour symboliser une puissance sans limite. Ainsi tous les domaines (jardins, architecture, sculpture, peinture, etc.) sont appelés à mettre au point un art spécifiquement français dont la qualité et la splendeur rendront jalouses les autres nations, qui n’auront d’autre choix que de l’importer.
La musique n’échappe pas à ce grand dessein et en quelques années l’art français de jouer, chanter et danser s’exporte dans toute l’Europe. On oppose de plus en plus nettement les styles français et italiens qui coexistaient jusqu’alors ; cette querelle durera des décennies. Lully devient le féroce héraut de ce style français dont il revendique l’invention, oubliant au passage qu’il vient lui-même de la campagne florentine, que l’opéra français n’est pas son invention, mais celle de Cambert. Il devient plus nationaliste que le roi : la musique est son pouvoir.
Pourtant, au temps où Mazarin était premier ministre, la musique des Vénitiens résonnait à Paris, les compositeurs français en étaient curieux, le grand Cavalli fut même invité à composer le grand opéra pour le mariage de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne : Ercole Amante, donné aux Tuileries en 1662, inspirant des générations d’artistes français, pour beaucoup très curieux des nouveautés ultramontaines. Charpentier (qui a séjourné à Rome), Campra, Couperin et tant d’autres ont été les instillateurs du « goût italien » dans leurs œuvres. L’attrait de Venise, souvent fantasmée pour l’imaginaire qu’elle porte, des canaux à la fête, des palais au carnaval, se ressent dans les compositions : Campra compose Les fêtes Vénitiennes ou Le Carnaval de Venise, sans jamais y avoir mis les pieds !
Cette présence italienne à Paris, souvent polémique, tant sur le plan esthétique que politique, se poursuit jusqu’à Jean-Philippe Rameau au XVIIIe siècle. Pourtant, il est l’artistes qui va définitivement sceller leur union dans un style qui prend le meilleur de l’Italie et de la France, où la légèreté côtoie le tragique, et les ariettes italiennes décoratives, les grands récits en français.
L’Anacréon qu’il compose en 1757 réunit ainsi tous ces ingrédients. Pourtant aujourd’hui reconnu comme le génie musical français des Lumières, sa musique est parsemée d’harmonies aux épices d’Italie, les violons s’inspirent clairement des virtuoses ultramontains, et l’art vocal se libère. Ainsi, des reflets sur les canaux de Venise aux Lumières de Paris, c’est bien l’esthétique du plaisir qui l’emporte sous la plume de ce grand maître de l’opéra.