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Combattimento, La Théorie du Cygne noir

Mise en scène Silvia Costa

Création pour le Festival d’Aix-en-Provence 2021

En 1640, quelques années avant de disparaître, Monteverdi publie un recueil testamentaire. Son huitième livre de madrigaux contient l’essence de son art, mêlant la science qu’il a reçue de ses maîtres de la Renaissance avec toutes les innovations qu’il a apportées à la musique, amenant la merveilleuse poésie du Tasse au milieu d’harmonies nouvelles.

Alors que Monteverdi a mis au point l’opéra – après son premier Orfeo de 1607 –, qu’il est devenu le maître incontesté du madrigal, que ses motets font la gloire de la basilique San Marco de Venise, il publie au milieu de ce recueil une oeuvre inclassable. Le Combat de Tancrède et Clorinde se situe sur un fil entre l’opéra, la déclamation, la fable et la chanson de geste. Si cette oeuvre avait précédé ses opéras, elle aurait été considérée comme un formidable laboratoire du genre lyrique. Mais elle date de 1624 : c’est donc la suite, la poursuite des réflexions d’un compositeur toujours à l’affût, toujours en ébullition, qui produit cette oeuvre comme la recherche d’une essence encore plus concentrée que l’opéra, d’une manière de dire une histoire en musique qui bouleverse son auditoire plus en profondeur. Pour lui, ce Combattimento est une oeuvre théâtrale et lyrique d’un genre nouveau, totalement inédit. Il rapporte qu’elle a ému les auditeurs jusqu’aux larmes. Aussi, plus de dix ans après sa composition, l’oeuvre tient encore une place tellement importante dans le coeur de son auteur qu’il choisit de l’intégrer au huitième livre de madrigaux pour en transmettre la mémoire.

Tout le programme musical du spectacle découle de ce Combattimento : le répertoire vient de la décennie qui suit, au travers de pages qui ont fondé la renommée de ce style, mais aussi de raretés. Ces années 1640 sont d’une intensité rare dans l’histoire de la musique : tout le talent de Monteverdi s’y épanouit dans ses dernières oeuvres mais aussi à travers tout ceux qu’il a inspirés, à commencer par le Romain Luigi Rossi, et son successeur à San Marco, Francesco Cavalli. Ils sont les héritiers d’un maître, qui a connu leur musique de son vivant. Tous ces compositeurs sont nés dans la musique de cette nouvelle ère, elle leur est naturelle et coule sous leur plume comme une langue maternelle.

Le génie de Monteverdi a fait l’effet d’un court-circuit dans la bonne marche de l’histoire de la musique occidentale, il l’a conduite là où personne ne pouvait l’imaginer : c’est la théorie du cygne noir. Des polyphonies de la Renaissance, des superbes contrepoints de la musique religieuse, d’un certain hiératisme, Monteverdi est passé dans une nouvelle ère. Les visions de cet artiste, entouré d’une communauté de penseurs et d’esthètes qui lui ont certainement permis d’en accoucher, ont fait souffler le vent des émotions, du théâtre, d’une expression plus viscérale des passions. Le langage musical en a été totalement bouleversé : le chanteur, jadis un parmi les autres, est devenu récitant au centre de l’attention, et les musiciens qui l’entourent sont maintenant là pour porter, amplifier et faire résonner son discours.

Ce Combattimento, au-delà de la beauté de sa musique et de l’intensité de son théâtre, fait a posteriori l’effet d’une oeuvre manifeste de ce nouveau monde : le récit qui prime sur tout, incarné par un Testo qui tient le coeur de la narration, des instruments qui déploient tout un accompagnement à son service inaugurant des inventions inédites comme l’impressionnant stile concitato – virtuosité inouïe symbolisant l’agitation, le fer et le combat. Si l’on se projette dans le monde musical dans lequel évolue l’Europe à cette époque, cette oeuvre-manifeste tranche, court-circuite totalement l’histoire et lui fait prendre un autre chemin. C’est sur ces pas que surviendront les grands inventeurs musicaux du siècle.

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